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Habitat léger : une précarité institutionnalisée ?

mercredi 15 avril 2015, par Quedal

Un article qui fait le point sur dix ans de lutte pour la reconnaissance d’une autre manière d’habiter !


L’association HALEM aura dix ans cette année.

Née en 2005 dans un camping municipal d’une commune rurale de l’Essonne, l’association pour les Habitants de Logements Éphémères et Mobiles est fondée par Joe Sacco avec un collectif d’habitants (campeurs à l’année) et de sympathisants afin de promouvoir ce mode d’habitats et défendre les droits de ses habitants. Dès la naissance de l’association, François Lacroix, directeur de L’ADGVE (Association Départementale Gens du voyage de L’Essonne) et ami de Joe fait le lien avec les problématiques rencontrées par les gens du voyage avec leurs habitats mobiles, ostracisés et refoulés par les collectivités territoriales et par les canons de l’urbanisme. Et ce malgré la Loi Besson qui depuis cinq ans oblige les collectivités de plus de 5 000 habitants à la création d’aires d’accueil pour les gens du voyage.


Rapidement, Joe Sacco établit des contacts avec d’autres associations d’habitants atypiques : « Travellers » en bus ou en camion, roulottiers, constructeurs de cabanes et habitants de toiles diverses (Yourtes, Tipi…).

En 2008 HALEM se voit confié l’animation de la coordination des réseaux pour l’habitat choisi (HALEM, Ma Cabane, Permis de vivre, droit Paysan…). Si le terme « habitat choisi » a depuis fait l’objet de remarques sur la relativité du choix en question à l’aune des paramètres économiques, sociologiques ou juridiques, on peut s’interroger longuement sur le vaste espace de liberté et de revendications diverses associés alors à ce mot. L’expérimentation à l’encontre du chaos, la sobriété volontaire plus que la précarité, les interstices des flous juridiques malgré la vulnérabilité résidentielle, une farouche volonté d’autonomie et de contestation des « paradogmes » imposées par la société néo libérales, caractérisent ce mouvement émergent et protéiforme.

La réaction institutionnelle s’intensifie à partir de la réforme du permis de construire de 2005 : dès 2006, le Préfet des Pyrénées-Orientales lance une charte de bonne conduite pour la lutte contre la cabanisation, qui inspirera d’autres territoires au détriment des modes de vie et des habitats alternatifs. Les DDT (Direction Départementale du Territoire) multiplient les constats d’infractions, de nombreuses mesures coercitives et répressives sont mises en place. Le phénomène se reproduit diversement suivant l’appréciation des autorités locales et leurs volontés de conserver les populations concernées, certaines collectivités rurales faisant parfois même le choix de soutenir ces installations.

HALEM à cette époque comme aujourd’hui défend, dans une perspective de droit commun, le statut de « terrain de vie » calé sur la circulaire de 2003, définissant le terrain familial dans le cadre de l’habitat adapté pour les Gens Du Voyage, à l’encontre des statuts dérogatoires, dont l’usage sur des populations cibles favorise l’arbitraire et les traitements discriminatoires.

S’appuyant sur les dispositifs permettant aux collectivités territoriales de déroger aux normes pour une expérimentation sur une durée de cinq ans, HALEM suggère alors qu’il est possible de développer dans les communes rurales une multitude de projets et de micro-projets aptes à revitaliser ou redynamiser les zones en voie de désertification.

Joe Sacco avait établi très rapidement le contact avec le ministère de la Cohésion sociale. Après son décès au printemps 2008 dans l’incendie (criminel) d’un squat artistique, le conseil d’animation de l’association perpétue le rôle d’interpellation des pouvoirs publics et en 2010 c’est le secrétaire d’état au Logement, Benoît Apparu qui reconnaît la pertinence du propos et confie à la DHUP (Direction de l’habitat de l’Urbanisme et des Paysages, ministère de l’Écologie et du développement durable) le soin de coordonner une commission paritaire qui, après plusieurs rencontres, conclut au manque de volonté gouvernementale, malgré un indice très élevé de critères cohérents dans les propositions de l’association. En effet, l’adéquation aux exigences issues du Grenelle de l’environnement, les facilités de mise en œuvre, les opportunités de création d’activités multiples, la réversibilité à court terme, la non artificialisation des sols, auraient dû l’emporter malgré la méfiance importante de l’administration centrale à l’encontre de l’éphémère, du spontané, de l’autonome et du nomade.

Fin 2010, le projet de Loi Loppsi 2 porté par les ministres de l’Intérieur Mme Alliot-Marie puis Brice Hortefeux sonne le glas de tout espoir : l’article 32 ter A propose de concéder aux préfets l’évacuation des installations illicites en 48 heures, les propriétaires et les élus s’y opposant pouvant recevoir des amendes de 3 750 €. HALEM lance alors avec le DAL (Droit Au Logement ) une stratégie de campements de contestation et d’information en milieu urbain qui se confondra parfois avec le mouvement des indignés et débouchera sur la censure par le Conseil Constitutionnel de l’article incriminé.

En 2011 c’est au tour du député Léonard de déposer une proposition de loi votée en première lecture à l’Assemblée avec des dispositions coercitives à court terme pour renforcer l’interdiction d’habiter à l’année dans les campings et espaces de loisirs. De nouveau la mobilisation des militants réussit à mettre en échec ce projet de loi.

Dès l’arrivée de Cécile Duflot au ministère du Logement et de l’Égalité des Territoires, le vent tourne avec les propositions de la loi Alur, mais celles-ci seront battues en brèche par les sénateurs et l’administration centrale qui n’est pas prête à lâcher du lest. Nous sommes actuellement dans l’attente d’un décret en Conseil d’État, censé parachever le dispositif et mettre un terme à des années de flou juridique et de contentieux dont l’issue est parfois à l’avantage des usagers. Tandis que Cécile Duflot tentait de faire évoluer la prise en compte de la diversité des modes d’habitats en y incluant l’habitat mobile ou démontable, sa collègue du ministère du Tourisme et future remplaçante au ministère du Logement, Sylvia Pinel, publie en février 2014 un décret renforçant le contrôle des baux dans les campings pour essayer d’endiguer une pratique de location à l’année qui, avec la crise, ne fait que s’amplifier pour des raisons essentiellement économiques.

Aujourd’hui, nous faisons le constat de la difficulté à amorcer des évolutions : le gouvernement n’a pas su saisir pleinement l’opportunité de réviser ou d’abolir le statut des gens du voyage et il n’a pas souhaité investir la proposition « d’accompagner le développement de l’habitat léger » tel que l’aurait souhaitée peut-être Cécile Duflot.

Quel que soit le nouveau cadre légal, nous craignons qu’il ne soit incomplet et insatisfaisant au regard des droits fondamentaux. Les objectifs d’HALEM se renouvellent : nous souhaiterions contribuer maintenant à l’élaboration d’une proposition de loi populaire pour la prise en compte des potentiels et des possibles, en adéquation avec les réalités sociales et environnementales, contre la préséance de l’économique et de la spéculation urbanistique. Une sorte de gageure pour susciter un urbanisme participatif.

Nous aimerions également initier la mise en réseaux des initiatives d’élus volontaires et humanistes, et impulser une dynamique d’autodéfense autour des futurs contentieux de l’urbanisme qui se dessine à l’aune du cadre juridique issue de la loi Alur, par la création d’atelier d’autodéfense juridique et d’un pôle de stratégie judiciaire autour de l’habitat alternatif.

L’essentiel étant de redonner espoir et cohérence collective à tous les partisans de cette démarche qui a encore du chemin à parcourir pour être reconnue par l’ensemble de la société.

Paul Lacoste, membre de l’association Halem

Article publié le samedi 7 février 2015 sur le site de Halem.

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